Sous la lune seul à boire, Li Tai Bai (701-762)

花間一壺酒             entre les fleurs un flacon d’alcool
獨酌無相親             seul à boire sans vis-à-vis familier
舉杯邀明月             coupe levée j’invite la lune qui brille
對影成三人             face à mon ombre cela fait trois personnes
月既不解飲             la lune déjà a bu sans se délivrer
影徒隨我身             l’ombre en disciple imite mes gestes
暫伴月將影             compagnons de passage la lune qui mène l’ombre
行樂須及春             amusons-nous jusqu’à l’extrême du printemps
我歌月徘徊             je chante et la lune se balance
我舞影凌亂             je danse et l’ombre tourbillonne
醒時同交歡             lucides encore ensemble nous nous réjouirons
醉後各分散             après l’ivresse chacun de son côté partira
永結無情遊             à jamais liés en suivant nos chemins sans passions
相期邈雲漢             pour nous attendre très loin sur la voie lactée

L’essence (Jing) est la racine de la vie

L’essence (Jing) est l’un des trois trésors (san bao: jing, qi (souffle), shen (esprit)) de la médecine chinoise et la culture taoïste du corps. Jing sous-tend toute la vie biologique et est la source de ses changements, croissance et développement. Jing est lié à l’énergie sexuelle qui est la base de la force vitale du corps; il est pensé comme une substance fluide (Yin) en contraste avec le Qi qui est considéré comme étant relativement immatériel et plus Yang. Jing soutient et nourrit le corps et est la base de la reproduction et du développement des êtres vivants. Part nécessaire de toute transformation et engendrement dans le corps, Jing est la substance qui imprègne l’organisme rendant possible son développement de la naissance à la mort.


Yin et yang se créent mutuellement

Sans yang, yin ne peut pas transformer; sans yin, yang ne peut pas engendrer.

Yin yang sont inséparables. l’un ne peut pas exister sans l’autre et chacun contient l’autre. Bien que l’on puisse les distinguer on ne peut en parler qu’à travers leur relation, jamais indépendamment. On ne peut apprécier « rapide » que si « lent » existe. L’action et le mouvement yang viennent du calme yin.
Dans les arts martiaux chinois internes on parle souvent de la main yang et de la main yin. En général la main yang est celle qui accomplit l’action évidente: projection, frappe, clé; le rôle de la main yin est de mettre en place celui de la main yang et cela passe souvent inaperçu: déraciner, dévier, guider, ressentir. La main yin augmente la puissance de la main yang et prépare son action.
Yin contient des éléments yang et inversement; chacun peut se transformer en son opposé. Cela permet d’interchanger le rôle des mains en douceur instantanément.


Creuser la poitrine, étirer le dos

Le principe « creuser la poitrine, étirer le dos » est le moteur et le commencement de toute action, c’est le principe premier, rien ne peut se faire sans lui. La mobilité de la partie inférieure du sternum est due à la longueur des cartilages costaux qui s’y rattachent et aux muscles transverses du thorax. Le serpent étant la colonne vertébrale, sa tête se trouve au niveau du coeur; le serpent regarde (creuse la poitrine)  à droite pour aller à droite, regarde (creuse la poitrine) à gauche  pour aller à gauche. Le dos réagit en conséquence et s’ouvre et s’étire en fonction de ce qui se passe à l’avant. L’intention part du coeur, c’est celui-ci qui dirige et non pas l’intellect, la place est libre pour le calme.


un coup d’épée dans l’eau

Un des concepts les plus importants du taoïsme, et de la philosophie chinoise dans son ensemble, est celui de wu wei, que l’on traduit le plus souvent par « non agir ». On trouve, dans le Tao Te King (le Livre de la Voie et de la Vertu, fondateur du taoïsme) l’expression « wei wu wei », agir sans agir. Cette idée est également fondamentale dans la pratique du taï chi en tant qu’art martial, mais elle n’est pas toujours facile à comprendre.

Comment se bat-on, traditionnellement, en Occident ? L’image la plus parlante, je trouve, est celle de deux épées qui se rencontrent lors d’un duel. Une épée frappe une autre, puis la frappe à nouveau, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une des deux forces prenne le dessus ou contourne l’autre. En d’autres termes, la logique est toujours celle de l’affrontement, et se traduit par l’expression « la meilleure défense, c’est l’attaque ». Le combat occidental est un combat de la force, soit de la force musculaire, soit de la force des armes (ne parle-t-on pas de « force de frappe » ?)

L’éthique du wu wei, et donc du tai chi chuan, est sensiblement différent. Face au coup d’épée, il s’agit de devenir eau, et comme l’eau de ne pas agir, de se laisser porter par ce qui vient. Lorsqu’on donne un coup d’épée dans l’eau (encore une expression bien connue !), on échoue. Pourquoi ? Parce qu’on ne frappe jamais l’eau, qu’elle contourne et entoure qui veut la frapper. Pratiquer le tai chi chuan, c’est se rendre pareil à l’eau. Il ne s’agit pas d’esquive mais de dérobade.

Guillaume Cot